Periodismo de Impacto

L’etrange magie d’un the pris dans le silence

Les participants payent 40 dollars singapouriens (environ 30 dollars américains) pour une session
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24.06.2016

Singapour, Singapour
Il y a un bar à Singapour où on ne trouve ni alcool, ni disque jockey. Il y règne un silence total et on s’y assoit sans bruit pour prendre le thé, qui est servi par des « baristas » sourds. Cet établissement atypique, Hush Teabar, a été fondé en 2014 dans le but de permettre aux adeptes hyperactifs du « métro-boulot-dodo » de lever le pied, tout en créant de l’emploi pour ceux qui sont affectés par la surdité.

Anthea Ong, 47 ans, est à l’origine du projet. Elle a quitté son poste de directrice générale d’un groupe de consultants en 2013, une décision « qui n’a pas été des plus faciles, mais je suis très heureuse de l’avoir prise », dit-elle. « Créer Hush Teabar m’a aidé à me souvenir de qui je suis vraiment et c’était difficile lorsque j’étais entourée de fonceurs qui étaient tous très stressés », se souvient-elle.

Le bar n’a pas d’adresse fixe : nomade, il s’établit, le temps de quelques séances, dans les bureaux où ses services ont été demandés, ceux de grandes banques par exemple.

« Le silence est propice à l’introspection et nous permet d’être plus proches de nous mêmes, mais nous ne le pratiquons que rarement », déplore Ong. À ce jour, le bar a servi environ 1000 clients, et l’affaire, qui emploie à peu près 25 personnes sourdes qu’Ong appelle des « TeaRistas », est rentable.

« Les sessions ont lieu durant les heures de travail, mais je dis toujours à nos clients qu’ils peuvent participer aussi longtemps qu’ils en ont envie, même s’il n’ont que deux minutes », assure la propriétaire (entre 5 et 10 « TeaRistas » travaillent sur chaque séance).

Les participants payent 40 dollars singapouriens (environ 30 dollars américains) pour une session, séparée en quatre sections, dont la durée totale est entre 30 et 45 minutes. La première section est une explication de la mission du bar et ce qu’il veut apporter à ses clients : « encourager le silence et la conscientisation chez ceux qui sont surmenés par la vie moderne », mais aussi « créer un milieu qui soit inclusif pour les sourds. »

Ensuite, les participants choisissent parmi 12 mélanges faits de fleurs, d’herbes et de fruits, celui qui correspond le mieux à leur état d’esprit du moment, ou celui auquel ils aspirent. L’infusion « Positivement Sereine » par exemple, contient des fleurs de lavande, d’églantier et de tilleul.

« On associe souvent le thé à la sérénité, alors nous mettons nos clients en contact avec les feuilles dès le début à travers leur interaction avec les TeaRistas », explique Ong.

C’est alors, plaisante la gérante, qu’on passe au plus difficile : séparer les participants de leurs téléphones portables. « On y est si attachés de nos jours que certains m’ont avoué ne plus se souvenir de la dernière fois qu’ils en avaient été éloignés. »

La prochaine étape, c’est la cérémonie du thé, à laquelle procèdent les « TeaRistas » en utilisant le langage des signes ou des cartes spéciales, pour se faire comprendre. Une fois que le thé est servi, les clients doivent eux aussi remplir leur part du rituel avant de pouvoir déguster le breuvage.

Une fois la dégustation terminée, les participants sont encouragés à exprimer ce que la cérémonie et le thé leur ont inspiré à travers ce qu’Ong appelle le « TeaArt » : les participants trempent leurs doigts dans le thé et tracent ce qui leur vient à l’esprit sur une toile. À la fin de la séance, les participants se réunissent pour échanger leurs impressions.

L’équipe du Hush Teabar a organisé un total de 17 sessions dans des lieux de travail à travers Singapour, et Ong admet qu’elle craignait que la réserve ou le scepticisme n’inhibe les participants. À son grand soulagement, son appréhension ne s’est pas avérée être fondée : « Certains ont fondu en larmes » se souvient-elle.

« Une des participantes avait été si émue qu’elle a éclaté en sanglots. Sa mère était morte quelques mois avant la session, mais cette femme était retournée au travail si rapidement qu’elle ne s’était pas donnée la chance de faire son deuil. »

«Pour moi et beaucoup de nos employés, c’était la première fois que nous avions l’occasion d’être aussi attentifs à nous-mêmes, et l’écrasante majorité des retours ont été extrêmement positifs », confie Joe Tofield, un cadre haut placé du British Council à Singapour. « Les moments les plus forts ont été les fins de séance, lorsque tous les membres de l’équipe se sont mis à partager comment ils avaient vécu cette expérience. Ces échanges ont sans aucun doute renforcé les liens entre collègues et les as rendus plus solidaires, », ajoute-t-il.

De tous ceux qui ont gagné en sérénité grâce au Hush Teabar, Ong estime être celle qui doit le plus à l’équipe qui rend cette expérience possible. Elle admet avoir été inspirée par la dégradation de son mariage, qui s’est soldé par un divorce en 2008. Son mari américain, qui lui avait été infidèle, avait également été son associé en affaires, et tout s’est écroulé lorsque leur mariage a pris fin. Alors qu’elle sentait que la vie lui avait tout arraché, Ong dit avoir « trouvé la paix après avoir pris le temps de ralentir et de sonder mon âme. »

Elle dit aussi avoir beaucoup appris de ses employés sourds : « Grâce à eux je participe beaucoup plus activement aux conversations, je suis plus que jamais dans le présent. Je veux qu’ils puissent partager ce don avec autant de personnes que possible. »