Periodismo de Impacto

Antenna technologies, créateur de solutions low-tech

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24.06.2016

Berne, Suisse
La fondation genevoise créée par Denis von der Weid développe des solutions technologiques adaptées aux plus démunis, comme le système WATA, qui permet de produire de l’eau potable localement.

Un livre ne suffirait probablement pas à raconter Denis von der Weid. Tour à tour, professeur d’économie en Colombie, travailleur dans les bidonvilles de Bombay, animateur de radio pirate en Afrique et agitateur politique en Suisse ¬- ¬la fameuse campagne «Nestlé tue des enfants» de 1974, c’est lui - ¬ l’homme semble avoir autant de vies que de cheveux blancs. L’œil pétillant et volontiers taquin, il joue désormais au Géo Trouvetou pour les plus pauvres, ceux qui vivent avec moins de quelques dollars par jour.

«En 1984, j’ai créé l’association Antenna International, un réseau d’avocats pour la défense des droits de l’homme. Mais il m’est vite apparu qu’il fallait aller plus loin. En effet, à quoi bon lutter pour les droits humains si les plus pauvres ne disposent pas de nourriture, d’eau potable et d’électricité? Ces éléments sont indispensables à la vie quotidienne et pourtant trois milliards de personnes n’y ont pas accès.»

Pour combler ce manque, le professeur, qui a étudié le droit et l’économie à l’Université de Fribourg, se tourne - presque par hasard - vers les sciences. «A l’époque, je vivais en Inde et je souffrais de diarrhées. Alors que dans le Nord, des technologies permettent de disposer d’eau potable à tous les robinets, ce n’est pas le cas là-bas. Pourquoi? Parce que les sciences sont un business comme les autres. Elles travaillent pour ceux qui peuvent payer.

La moitié de la population mondiale ne peut satisfaire ses besoins essentiels. Pourtant, la recherche scientifique ne s’y intéresse pas. Partant de ce constat, j’ai décidé, en 1989, de créer Antenna Technologies, dont l’objectif est la diffusion de technologies adaptés aux besoins des communautés les plus vulnérables.»

Vingt-cinq ans plus tard, la fondation envoie ses solutions aux quatre coins de la planète. Présente dans une trentaine de pays, Antenna se bat sur tous front: la nutrition, l’agriculture, l’énergie, les médicaments, le microcrédit, l’accès à l’eau potable… Sur ce dernier point, la fondation lance en juin 2016 deux nouveaux modèles de son système WATA, qui permet de produire de l’eau potable localement.

L’enjeu est d’importance. Selon les chiffres de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 663 millions de personnes dans le monde ne disposent pas, en 2015, d’un point d’eau salubre - principalement en Afrique subsaharienne (319 millions) et en Asie du Sud (134 millions). Or l’amélioration de la qualité de l’eau, de l’assainissement et de l’hygiène permettrait, selon l’OMS, d’éviter chaque année 842000 décès imputables aux maladies diarrhéiques, dont 340000 enfants de moins de 5 ans.

Les Wata permettent de purifier de grandes quantités d’eau grâce à une pincée de sel et un processus d’électrolyse qui transforme l’eau salée en chlore. Au Burkina Faso, par exemple, 25 centres de santé ont été équipés d’un tel appareil et le personnel formé, afin d’améliorer l’hygiène des soins. Un succès.

Avec 2000 WATA vendus dans le monde, la fondation Antenna estime qu’elle permet à 15 millions de personnes de disposer de quatre litres d’eau purifiée par jour. «Et nous pourrions faire de même avec 50 millions de personnes, si nous avions plus de moyens.»

«Si l’on adapte une technologie, nous pouvons changer radicalement les conditions de vie des plus pauvres, martèle Denis von der Weid. Prenons l’exemple de l’eau. Les pays du Nord sont habitués à la purification chlorée depuis des années via les stations d’épurations. Mais cette solution n’est pas possible dans les pays du Sud qui ne dispose pas des infrastructures nécessaires. Il fallait donc changer la technologie, afin que de l’eau potable puisse être produite dans chaque foyer.

De manière générale, les compétences technologiques ne font pas défaut. Ce qui manque, c’est de les animer dans une direction nouvelle, de les adapter aux plus démunis. Comme personne ne le fait, c’est la mission que s’est donnée Antenna. Cela a commencé avec des maisons à 1000 dollars, puis cela s’est poursuivi avec des cultures en Inde de spiruline - une micro-algue à haute valeur nutritionnelle, dont quelques grammes par jour améliorent spectaculairement l’état nutritionnel des enfants malnutris.»

Dans le cerveau de cet infatigable agitateur d’idées, les projets ne manquent pas. Comme exemple, le professeur sort de son bureau une lampe solaire. «1,5 milliard de personnes n’ont pas accès à l’électricité. Vous pouvez leur offrir des torches solaires comme il en existe ici. Mais là-bas lorsque vous cassez l’ampoule, c’est une catastrophe parce que vous ne pouvez pas la remplacer. Nous avons donc développé un modèle qui résiste aux chocs».

A l’échelle de la planète, ces solutions peuvent paraître dérisoires. «Mais notre objectif n’est pas de sauver le monde. Nous ne le pourrions pas, note le professeur. Nous apportons des solutions et nous les transférons dans le Sud. Sans charité: l’idée demeure toujours de stimuler l’économie locale, afin de rendre les populations autonomes. C’est pourquoi nous misons aussi beaucoup sur nos partenaires locaux et sur l’éducation des populations. Nous avons ainsi initié un programme «école» au Burkina, afin de former les enfants au traitement de l’eau au chlore.»

Et ça marche: dans certains pays, des innovations portées par Antenna s’auto-développent désormais, en étant produites et reproduites localement. «J’espère que notre modèle sera copié par d’autres ONG, mais aussi par les institutions et les centres de recherche.

Aujourd’hui, la jeunesse s’intéresse au développement, mais pas les professeurs. Je trouve inacceptable que la plupart des universités ne disposent pas d’une chaire dédiée à la recherche sur les besoins fondamentaux, poursuit Denis von der Weid. Lorsque je retourne dans les bidonvilles de Bombay aujourd’hui, je retrouve des amis exactement à la place où je les avais laissé il y a 25 ans. Le système actuel ne permet pas de résorber l’extrême pauvreté. Mais améliorer les conditions de vie d’une personne, ça vaut le coup, ça vaut une vie.»